L’édition 2023 de Series Mania aura été marquée par la signature d’un accord interprofessionnel majeur sur les pratiques contractuelles entre scénaristes et producteurs de fiction. Cet accord a été signé le 22 mars 2023 entre la SACD et la Guilde française des scénaristes (côté scénaristes) d’une part, et l’USPA et le SPI (côté producteurs) d’autre part.
Une fois étendu par arrêté ministériel, cet accord se substituera intégralement au Protocole d’accord sur les pratiques contractuelles entre auteurs scénaristes et producteurs de fiction signé 10 ans auparavant (le 20 décembre 2012) et au glossaire du scénario du 18 avril 2015.
Cet accord contient des évolutions notables par rapport au protocole de 2012, dont il reprend également le contenu, avec quelques aménagements. Ces évolutions ne vont pas manquer d’impacter les contrats de production audiovisuelle (ou contrats de commande d’écriture et de cession de droits). En voici un panorama :
• L’instauration d’un lexique de l’écriture de fiction - article 5
Destiné à encadrer les commandes de textes aux auteurs, le nouvel accord se donne pour ambition d’uniformiser la terminologie de l’écriture utilisée en matière de fiction. Cet accord va au-delà du glossaire du scénario du 18 avril 2015 puisque les définitions contenues dans l’accord (allant du « pitch d'unitaire » ou « pitch d’épisode » à la « continuité dialoguée » ou « scénario ») sont d’application stricte. Elles présentent un caractère obligatoire pour les parties à un contrat de commande d’écriture et de cession de droits.
Fini l’utilisation de termes disparates et parfois imprécis tels que « dossier littéraire », « pré-bible », « synopsis détaillé », « script ».
En outre, la nature du texte commandé dictera également le nombre de pages.
A titre d’exemple, le synopsis d’un épisode de série de fiction (hors création) d’une durée de 52 minutes, entendu comme « le texte qui décrit la principale intrigue de l’histoire, du début jusqu’à la fin, et esquisse les principaux personnages et leur évolution, sans entrer dans les détails » (article 5.3), devra obligatoirement comporter entre 5 et 10 pages (avec un référentiel de 8 pages), une page s’entendant comme comportant 3000 signes avec une tolérance de plus ou moins 10%.
En fixant qualitativement et quantitativement l’objet de la commande, cette nouvelle terminologie constitue indéniablement un moyen efficace pour protéger les auteurs. Cependant, on peut s’interroger de savoir si les délimitations quantitatives adoptées n’auront pas pour effet de brider la création artistique, la plume de l’auteur étant désormais circonscrite à un nombre de caractères.
Fort heureusement, le risque peut être nuancé. L’accord prévoit, en effet, la possibilité pour le producteur d’accepter le texte d’un auteur qui dépasserait le nombre de pages maximum prévu, sans surcoût pour le producteur, dès lors que le dépassement est le uniquement le fait de l’auteur.
• La limitation du nombre de versions successives – article 5.5
Le contrat de production audiovisuelle devra désormais mentionner le nombre de versions du texte commandé. Le dépassement du nombre de « versions » autorisées par le contrat devra être prévu par voie d’avenant moyennant le versement d’une rémunération fixe forfaitaire supplémentaire (sous forme de prime d’inédit ou de minimum garanti).
Il est toutefois précisé que de simples retouches d’un texte, n’impliquant pas de « modifications substantielles », ne sera pas considéré comme une nouvelle version.
Afin de distinguer les différentes versions du texte commandé qui se succèderont, une terminologie et une nomenclature spécifique est mise en place.
• Une redéfinition de la notion de bible d’une série originale - article 6
L’accord consacre les notions de « bible initiale » et « bible complémentaire ».
La bible initiale sera désormais composée des éléments choisis de gré à gré par les parties parmi : la note d’intention, le cadre général dans lequel évoluent les personnages, les principes narratifs, le ton, le style et le point de vue de la série, la caractérisation des personnages principaux et secondaires récurrents et leurs relations, l’argument de premier épisode ou une liste de pitchs d’épisodes, une trajectoire de saison, les intentions de dialogues limitées à 3 pages). Le contrat devra mentionner ces éléments et indiquer le nombre de pages composant la bible initiale (compris entre 8 et 25 pages).
Une fois la bible initiale écrite, le producteur délégué qui signerait une convention de développement avec un éditeur de service, pourra commander à l’auteur une bible complémentaire, consistant soit une demande de modifications ou de plus amples développements de la bible initiale, soit dans la commande d’éléments de bible qui ne figuraient pas dans la bible initiale.
La bible initiale et la bible complémentaire formeront la bible de la série.
• La fixation d’une rémunération minimale pour l’écriture de la bible d’une série originale – article 6.3
L’accord prévoit une rémunération plancher à 6 000 € bruts, portée à 11 000 € en cas de convention de développement signée avec un éditeur de servies et à 20 000 € si la série est mise en production et les dépenses directes horaires supérieures ou égales à 600 000€.
• Le renforcement de la collaboration entre scénaristes et producteurs
L’implication de l’auteur s’inscrit dans l’évolution des usages.
Ainsi notamment, l’auteur de la bible initiale d’une série originale bénéficiera d’un droit de priorité pour l’écriture de la bible complémentaire, du premier épisode écrit et/ou des arches narratives.
L’auteur-scénariste d’un épisode ou d’un unitaire se verra confier en premier lieu la version du scénario dite « de tournage », consistant dans la « mise en conformité du scénario avec les impératifs et les moyens de production », moyennant le versement d’une rémunération forfaitaire additionnelle.
• La consécration de la notion d’atelier d’écriture structuré (ADES) – article 7
L’ADES est un « modèle d’organisation collaborative de l’écriture » supposant la réunion de 4 conditions cumulatives :
- l’initiative de sa mise en place par le seul producteur délégué,
- la présence d’un ou deux auteurs référents qui se voient confier la coordination de l’atelier,
- la présence d’au moins deux auteurs-scénaristes,
- la mise à disposition d’un local pour tenir les réunions de l’ADES, par le producteur délégué.
La participation d’auteurs-scénaristes aux travaux d’écriture en ADES donne lieu à une rémunération spécifique, affectée en droits d’auteur.
• La mise en place d’une Enveloppe Minimale d’Écriture (EME) fixant le cadre minimal de rémunération des travaux d’écriture - article 8.
L’EME concerne les œuvres de fiction dont les dépenses directes sont égales ou supérieures à 600 000 € par heure de programme. Elle n’inclut pas la rémunération de la version de tournage.
Quel est son montant ?
Pour les œuvres de fiction françaises (hors adaptation), le montant de l’EME est fixé à 3%* des dépenses directes avec un minimum de 27 770 € par heure (soit un minimum
de 23 833 € pour une œuvre de 52 minutes).
*Pourcentage porté à 3,6% lorsque l’écriture se fait dans le cadre de la constitution d’un ADES.
Pour les œuvres de fiction françaises adaptées d’une œuvre audiovisuelle ou cinématographique, le montant de l’EME est fixé à 2,25 %* avec un minimum de 20 625 € par heure (soit un minimum de 17 875 € pour une œuvre de 52 minutes).
* pourcentage porté à 2,7% lorsque l’écriture se fait dans le cadre de la constitution d’un ADES.
Les dépenses effectuées au-delà de 1,2 millions d’euros ne sont pas prises en compte dans l’assiette de calcul de l’EME.
70 % de l’EME devra être versée à l’auteur au cours des étapes d’écriture ayant conduit à la remise de la première version de la continuité dialoguée de l’épisode ou de l’unitaire objet du contrat (en ce inclus l’échéance de paiement due à la remise de cette continuité dialoguée).
• L’intéressement après amortissement de l’œuvre – article 12
Alors que l’accord du 20 décembre 2012 n’imposait pas le principe d’une rémunération additionnelle après amortissement du coût du film au profit de l’auteur, laquelle devait être négociée de gré à gré, c’est désormais la règle. Chaque contrat de production audiovisuelle devra une fois l’œuvre amortie, prévoir une rémunération complémentaire au profit de l’auteur consistant en la majoration du taux de sa rémunération proportionnelle pour les modes d’exploitation relevant de la gestion individuelle.
Si la notion d’amortissement est encadrée par l’accord entre auteurs et producteurs d’œuvres audiovisuelles relatif à la transparence des relations auteurs-producteurs et à la rémunération des auteurs du 6 juillet 2017 auquel le nouvel accord renvoie expressément, le montant de la majoration est fixé de gré à gré entre les Parties.
Une fiche récapitulative fixant les éléments nécessaires au calcul des rémunérations de l’auteur devra être annexée au contrat de production audiovisuelle, selon le modèle figurant en annexe 2 de l’accord.
• Le caractère obligatoire du recours à la médiation en cas de litige – article 14
Le recours à la médiation conformément au règlement de l’AMAPA est rendu obligatoire en cas de différent lié à la validité, l’interprétation ou l’exécution d’un contrat de production audiovisuelle, là où auparavant le protocole de 2012 l’encourageait. Ce n’est qu’en cas d’échec de la médiation que les parties pourront avoir recours aux tribunaux.
Ce nouvel accord sur les pratiques contractuelles entre auteurs scénaristes et producteurs de fiction entrera en vigueur au 1er juillet 2023. Une fois étendu par arrêté de la ministre de la Culture en application des articles L132-25-1 et L.132-25-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, il s’imposera à l’ensemble des professionnels de la fiction française.
Auteurs et producteurs signent successivement, deux nouveaux accords par l’intermédiaire des organismes professionnels les représentants et des organismes de gestion collective.
Ces accords visent à subordonner l’attribution des aides financières par le CNC relatives à la production et la préparation d’une œuvre audiovisuelle, à l’insertion de clauses types dans les contrats conclus avec les auteurs d’œuvres audiovisuelles (accord du 17 septembre 2021) et les auteurs d’œuvres cinématographiques (accord du 12 octobre 2021).
Les clauses contenues dans ces accords sont de 2 ordres :
- des clauses visant à s’assurer du respect des droits moraux des auteurs (droit au respect du nom et de la qualité de l’auteur, établissement de la version définitive de l’œuvre),
- des clauses visant à s’assurer que la rémunération des auteurs respecte le principe de rémunération proportionnelle et de fixation pour chaque mode d’exploitation, selon les modalités édictées par les articles L.131-4 et L.132-25 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Les accords rappellent que « la rémunération doit être conforme aux accords professionnels relatifs à la rémunération des auteurs rendus obligatoires en application de la loi. »
Ces accords, pris en application de l’article 26 de l’ordonnance n°2020-1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive n°2018/1808 sur les services de médias audiovisuels (SMA), sont d’une portée limitée sur un plan strictement juridique, puisqu’ils consistent à imposer la contractualisation de dispositions législatives existantes.
Pour autant, l’impact économique de ces accords n’est pas négligeable. En effet, l’absence de l’une de ces clauses types dans un contrat de production audiovisuelle conclu entre un producteur et un auteur, devrait conduire le CNC à refuser l’attribution des aides financières.
A noter que l’article 24 de l’ordonnance de transposition de la Directive SMA précitée, prévoit également que la non-conformité d’un contrat portant sur la production d’une œuvre aux dispositions relatives à la protection des droits moraux des auteurs et à leur rémunération, ne permettra pas la prise en compte de cette œuvre au titre des obligations d’investissement des plateformes ou des chaines de télévision.
Une manière de sensibiliser les producteurs au respect de la loi et de mettre un terme à l’insertion dans les contrats conclus avec les auteurs, de clauses illicites au regard du droit d’auteur.
Une vigilance particulière devra donc être observée lors de l’élaboration des contrats de production audiovisuelle.
Le 12 mai 2021, la France a transposé plusieurs dispositions de la directive européenne 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins du 17 avril 2019, dont l’article 18 consacré à la fixation de la rémunération des artistes-interprètes.
Le texte adopté impacte profondément le régime de rémunération des artistes-interprètes au titre de la cession de leurs droits sur leur interprétation, en opérant un rapprochement très significatif avec le régime jusqu’alors réservé aux auteurs.
Le principe d’une rémunération appropriée et proportionnelle
Est consacré le principe d’une rémunération appropriée et proportionnelle des artistes-interprètes. Cette rémunération devra être appréciée par rapport à la « valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés, compte tenu de la contribution de l'artiste-interprète à l'ensemble de l'œuvre et compte tenu de toutes les autres circonstances de l'espèce, telles que les pratiques de marché ou l'exploitation réelle de la prestation » (nouvel article L.212-3 II alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle - CPI).
Cette nouvelle disposition vient atténuer les disparités de traitement existantes entre les artistes-interprètes suivant leur secteur d’activité. En effet, d’un côté il y avait les artistes-interprètes qui bénéficiaient déjà d’un régime de rémunération spécifique relativement protecteur mis en place au fil des années avec l’aide des lobbying (notamment dans les secteurs de la musique et à moindre mesure, de l’audiovisuel) et de l’autre côté, les « oubliés du système », ceux pour qui rien n’était vraiment prévu (les danseurs, les comédiens dramatiques, les magiciens, etc.).
Désormais le principe de la rémunération appropriée et proportionnelle concernera tous les artistes-interprètes, sans distinction.
Pour autant, certaines disparités vont perdurer, puisque les nouveaux textes viennent compléter les dispositifs spécifiques à certains secteurs préexistants, sans les étendre ni les modifier.
Ainsi dans le secteur audiovisuel, où existait déjà le principe d’une rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation (article L.212-4 CPI), le nouvel article L.212-3 II, de portée plus générale, viendra compléter ce dispositif en y ajoutant l’exigence de proportionnalité.
Les contrats devront donc prévoir une rémunération appropriée et proportionnelle, distincte pour chaque mode d’exploitation.
Quid du calcul de la rémunération proportionnelle ?
A la différence du droit d’auteur, aucune assiette n’est imposée pour le calcul de la rémunération proportionnelle des artistes-interprètes. Il n’est donc pas nécessaire de se référer au prix de vente payé par le public ou aux recettes d’exploitation, la seule exigence tenant à ce que la rémunération soit proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés.
Néanmoins, des difficultés d’interprétation et de mise en œuvre de ce critère sont à prévoir, tant il peut paraître difficile d’évaluer par avance cette valeur économique, fût-elle réelle ou potentielle :
Le législateur prévoit que pourront être pris en compte certains critères, à savoir :
- la contribution de l'artisteinterprète à l'ensemble de l'œuvre,
- et toutes les autres circonstances de l'espèce, telles que les pratiques de marché ou l'exploitation réelle de la prestation.
Mais surtout, le législateur opère un renvoi express à la négociation collective et aux accords professionnels afin de « déterminer, en tenant compte des spécificités de chaque secteur, les conditions de mise en œuvre du présent article. » (Article L.212-3 II CPI).
Le recours au forfait par exception au principe
En outre, comme en droit d’auteur, le principe de la rémunération proportionnelle connaît des exceptions.
Le recours au forfait sera en effet permis, dans des cas limitativement prévus (ex : lorsque la base de calcul ne peut être déterminée, en l’absence de moyens de contrôle, ou lorsque les coûts exposés pour mettre en œuvre ces moyens sont disproportionnés, lorsque la contribution de l’artiste-interprète ou son utilisation présente un caractère accessoire. – cf. article L.212-3 II CPI).
Par ailleurs, le principe de la rémunération proportionnelle n’empêche pas qu’une autorisation puisse être donnée à titre gratuit (cf. en ce sens le considérant 82 de la directive).
Révision et transparence
Les exploitants devront être vigilants lors de la négociation des rémunérations avec les artistes-interprètes, étant précisé que le nouveau dispositif tel qu’issu de la directive prévoit un mécanisme de révision de la rémunération de l’artiste-interprète ouvrant droit à rémunération supplémentaire pour l’artiste-interprète, « lorsque la rémunération initialement prévue se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’exploitation par le cessionnaire », la contribution de l’artiste pouvant alors être prise en considération pour évaluer la situation (article L.212-3-2 CPI).
Des obligations de transparence seront également mises à la charge des exploitants au titre de la réédition des comptes. Elles entreront en vigueur au 7 juin 2022 (article L.212-3-1 CPI à venir).